Propos sur la maison traditionnelle des Viêt

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Propos sur la maison traditionnelle des Viêt

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Le mot vietnamien nhà (maison) a une résonance affective, sociale et idéologique, d'une ampleur et profondeur que ne connotent pas ses homologues en Occident.

Tandis que les cultures occidentales sont fortement marquées par l'individualisme, la culture vietnamienne relève des cultures orientales dominées par l'esprit communautaire, en particulier l'esprit familial. Les vietnamologues P. Huard et M. Durand ont raison de souligner : «Les maisons vietnamiennes sont avant tout des maisons familiales et des maisons de culte». Le mot nhà (maison) peut signifier aussi famille (Cả nhà đi vắng = Toute la famille est absente.)


Une maison campagnarde dans le pur style traditionnel que l’on retrouve dans le Nord du Vietnam. Photo : Archives/CVN

La structure de l'ancienne société vietnamienne repose sur le village. Le village, unité économique, administrative et religieuse de base, rassemble les familles, et la nation unit les villages. Plus de 90% de la population vivaient à la campagne, en  pratiquant la  culture du riz en terrain inondé. Profondeur casaniers, ils quittaient rarement la haie de bambous du village les rizières où dormaient leurs ancêtres, la maison familiale compagne de ses joies et des peines de toute sa vie.

La maison revêtait pour eux un caractère sacré, même mystique, car là se trouvait non seulement l'autel des ancêtres, mais encore des autels secondaires dédiés au Génie du foyer, au Génie du sol, aux Déesses-Mères. La maison est le séjour commun aux vivants et aux morts, aux hommes et aux êtres surnaturels. De là, de nombreux rites et sacrifices accompagnent la construction d'une maison.

L'attachement du Vietnamien traditionnel à sa maison se reflète dans le miroir de la littérature populaire et savante. Le poète Nguyên Du (XVIIIe siècle) a employé plus de cent fois le mot nhà dans son œuvre immortelle en vers Truyện Kiều (Histoire de Kiêu). Nous pourrions récolter une belle profusion de proverbes et de locutions qui révèlent la présence du terme nhà dans la vie quotidienne tant au sens propre qu’au sens figuré. En voici des exemples pris dans le tas.


Le salon de la maison est particulièrement soigné. Photo : CTV/CVN

Image symbolique de la maison

L'importance de la maison s'exprime dans ces deux proverbes : Sảy nhà ra thất nghiệp (Hors de la maison, on est perdu), Thứ nhất dương cơ, thứ nhì âm phần (De première importance est la maison pour les vivants, et ensuite le tombeau pour les morts). La sagesse des nations a souvent recours à l'image symbolique de la maison pour parler des mœurs et rapports sociaux parfois avec une pointe d'humour :

- Đàn ông làm nhà, đàn bà làm cửa (L'homme construit la maison, la femme fait la porte) : dans la répartition des tâches, l’homme assume celles qui sont importantes.
- Nhà dột từ nóc dột xuống (Si l'eau suinte, c'est à partir du toit) : Si une communauté est corrompue, la faute en revient aux responsables qui en donnent de mauvais exemples.
- Con không cha như nhà không nóc (Un enfant sans père est une maison sans faîte).
- Nhà gần chợ để nợ cho con (Quand la maison se trouve à deux pas du marché, la mère laisse des dettes à ses enfants) : à cause de sa gourmandise.
- Tắt đèn nhà ngói như nhà tranh (Une fois la lampe éteinte, il n'existe plus de différence entre maison de brique et maison de paille).
- Tối đâu là nhà, ngả đâu là giường (Le soir venu, n'importe où est sa maison, n'importe où on se couche est son lit).
- Vợ tạm thì già, nhà tạm thì nát (Une épouse provisoire est vieille, une maison provisoire est délabrée).
- Đi hỏi già, về nhà hỏi trẻ (Avant de quitter la maison pour aller à un endroit, il faut demander conseil à une personne âgée ; quand on rentre à la maison, il faut interroger un enfant pour savoir ce qui s'est passé) : les vieilles gens sont expérimentées, les petits ne mentent pas.
- Vắng chúa nhà, gà vọc niêu tôm (Quand le maître de la maison est absent, les poules saccagent le pot de crevettes grillées) : en l'absence des parents, les enfants font la pagaille.
Khách ba, chúa nhà bẩy (Trois pour les invités, sept pour le maître de la maison) : l'invitation à dîner est une occasion pour le maître de la maison (et ses gens) de se gaver.
- Cháy nhà ra mặt chuột (Quand la maison brûle, les rats apparaissent, étant obligés de sortir de leurs trous) : les scélérats ne se dévoilent que dans des circonstances éprouvantes.

Au point de vue grammatical, le substantif nhà (maison) est employé abondamment comme article spécifique pour désigner un groupement religieux (nhà chung = mission catholique, nhà chùa = clergé bouddhique), dynastique (nhà Lê = dynastie royale des Lê), professionnel (nhà báo = les hommes de presse), politique (nhà nước  = le gouvernement). Pour désigner aussi les personnes qui exercent un métier honorable : nhà văn = écrivain, nhà thơ = poète, nhà quan = mandarin, nhà sư = moine bouddhique.

Le mot nhà peut avoir une note d'affection, même de tendresse. Il remplace le pronom personnel français tu quand deux époux se parlent : Nhà đi đâu về đấy ? (D'où tu viens, chéri(e) ?). Au lieu de dire «ma moitié» comme en français, on dit «ma maison» (nhà tôi) quand on parle de son époux ou de son épouse : Nhà tôi đi chợ về (Ma maison revient du marché). Nhà employé comme pronom personnel peut avoir une nuance de familiarité (Nhà Tám vừa cho bánh = Mme Tam vient de nous donner des gâteaux) ou de condescendance (Ai cho nhà chị vào đây ? = Qui t'a permis d'entrer ici ?)


À la campagne, les Vietnamiens plantent les aréquiers devant ou autour de la maison. Photo : CTV/CVN

Le modèle typique de la maison traditionnelle s’est formé à travers les siècles dans le Nord du Vietnam, essentiellement dans le delta du fleuve Rouge, berceau de la nation à l’âge du bronze au premier millénaire avant J.-C.

Ce modèle s’est modifié et donne des variantes au cours de l’extension territoriale vers le sud après une période de domination chinoise de mille ans. Ces variantes sont le fruit de l’acculturation des Viêt avec d’autres peuples dans le Centre avec les Cham, dans le Sud avec les Khmers et les Chinois émigrés.

La maison vietnamienne vue par un étranger

Voici comment un étranger, l’écrivain français J. Boissière a décrit la maison traditionnelle vietnamienne dans la deuxième moitié du XIXe siècle : «La maison est d’une très simple architecture, que le propriétaire soit pauvre ou aisé, qu’on ait employé les briques ou le torchis pour les murs et les cloisons. Elle est entourée d’un jardin potager. La charpente de la case est de bois ou de bambou. Une étroite varangue s’étend sur les quatre faces. La pièce principale se trouve au milieu de la maison ; sur les côtés sont de petites chambres à coucher, guère plus longues et plus larges que le lit de camp qui y est placé. Pas de plancher, simplement la terre battue, le sol des cases étant surélevé de
25 cm à 40 cm au-dessus du sol du jardin. En arrière de la maison, on rencontre une petite cour, couverte d’une treille de bambou où grimpent des haricots et des renoncules ; dans la cour, un bassin pour recueillir l’eau de pluie ; disposés çà et là, dans les coins, sur la margelle du bassin, des pots de faïence blanche et bleue où sont plantés des arbres nains, où s’épanouissent des tournesols et des églantines. Autour de la maison croissent des plants de bétel, des aréquiers, et souvent aussi quelques pieds de tabac, des plantes potagères, des légumes et des salades.

L’ameublement n’est ni très riche, ni très compliqué ; dans les chambres à coucher on ne trouvera qu’un lit de camp, couvert d’une natte, avec la moustiquaire de coton ; dans la grande chambre, d’autres lits de camp ; des coffres de bois, renfermant les vêtements de la famille, sont dissimulés dans les coins sombres de ces cases sans fenêtres.

Au fond de la pièce, en face de la porte, entre deux colonnes de la charpente, s’élève l’autel des ancêtres : sur une étroite planche, à deux mètres du sol, on a dressé d’étroites tablettes, laquées rouge ou noir, portant en caractères dorés le nom des chers défunts ; et, devant ces tablettes, des chandeliers de cuivre ou d’étain, des brûle-parfums où se consument des bâtonnets odoriférants, des lingots et des monnaies en papier doré et argenté. Aux colonnes de charpente, aux cloisons, sont collées de longues bandes de papier, où des calligraphes peignirent de sages sentences, maximes morales, souhaits de longévité, de fortune et de sagesse, toujours placés, comme un permanent exemple, sous les yeux des habitants de la maison».

Telle est grosso modo la maison traditionnelle du Vietnam. Ajoutons d’autres informations pour compléter cette description. Comme le modèle classique s’est constitué dans la campagne du Nord, il baigne dans l’espace rural. La campagne est tellement travaillée par l’homme qu’il ne reste plus de traces de nature intacte. La nature s’intègre à un espace culturel caractérisé. Quand on entre dans les maisons de village, îlot dans l’océan de plantations, on passe par quatre franges marquées par l’homme : les rizières, la lisière de bambous entourant le village, l’intérieur, les maisons des habitants.


Une maison traditionnelle a son ossature et ses meubles en bois. Photo : CTV/CVN

D’une manière générale, l’espace rural s’attache aux surfaces planes préférant les lignes horizontales. De là, les toits larges et bas qui évoquent la sérénité, ils semblent attirés plus par la terre que le ciel. Nos pagodes et nos temples s’étalent en largeur, ne recherchant pas la verticale des églises gothiques. Nos divinités étant proches de l’homme, nos constructions religieuses ne respirent pas le mystique supra-terrestre.

Un plan précis à respecter

Il y a aussi des raisons pratiques qui font que les maisons de l’habitat s’élèvent en hauteur : la chaleur torride et les typhons destructeurs favorisent les toits larges et les maisons basses. D’ailleurs, le pouvoir royal et les croyances populaires ne toléraient pas la construction de maisons trop hautes.

L’aire d’habitation obéit à certaines règles : enceinte de bambous à épines, de cactus ou de plantes taillées, entrée de devant (cổng tiền). La porte d’entrée principale pratiquée dans la haie d’enceinte doit éviter l’axe principal de la maison sauf dans le cas d’un édifice religieux pour éviter d’affronter directement les effluves néfastes. Les allées menant à la maison principale sont bordées de plantes de fleurs. Il y a parfois derrière un pagodon pour le culte du génie du Sol, ou dans la cour de devant une colonne portant un récipient pour brûler l’encens à l’intention de ce génie (cây hương).

Selon l’adage «Chuối sau cau trước» (Bananiers derrière, aréquiers devant), on plante de préférence les aréquiers devant et les bananiers derrière la maison car les aréquiers n’arrêtent pas les rayons de soleil, n’ayant pas de feuilles larges comme les bananiers qui, d’autre part, occupent trop de place. Seules les familles aisées plantent des jaquiers, sans doute parce qu’ils donnent des fruits très tard.


La maison traditionnelle a son ossature et ses meubles entièrement en bois. Photo : CTV/CVN

Répétons que la maison typique vietnamienne comprend trois travées (ba gian) et deux appentis (hai trái). Les travées ne sont pas des chambres fermées, elles sont séparées par des colonnes de bois ou de bambou, ce sont donc des compartiments qu’on pourrait baptiser entrecolonnements. La travée centrale, la plus large, est réservée à l’autel des ancêtres qui est précédé parfois d’un lit de camp.

Le chef de famille reçoit les visiteurs sur ce lit en bois (ou devant ce lit, dans un espace de la véranda où se trouvent une table et deux canapés). Les deux travées adjacentes ont des lits de camp pour les enfants et les visiteurs. Ces deux appentis latéraux (travées à droite et à gauche) sont des chambres pour le chef de famille et sa femme et aussi des dépôts pour les provisions et les ustensiles d’usage quotidien. Le plancher en terre battue n’est jamais dallé même chez les riches pour permettre l’échange harmonieux entre les principes mâle (yang) et femelle (yin) de l’univers.

Aucune ouverture n’est pratiquée dans les murs latéraux et de derrière afin de prévenir les vols, ce qui rend l’intérieur assez obscur mais lui maintient plus de fraîcheur face au soleil tropical. La cuisine ne se trouve pas dans le bâtiment principal comme dans la maison paysanne chinoise. La maison a une armature qui le soutient. L’unité architecturale est la ferme, assemblage d’éléments de charpente disposé verticalement pour servir de support à une ouverture.

La maison vietnamienne est ainsi un assemblage de bois, aucun clou ou autre pièce métallique, fait de colonnes supportant une poutre faîtière qui, avec son système de solives, supporte à son tour le poids énorme du toit en tuiles ou en paille. L’ensemble tient solidement grâce à un engrenage de mortaises et de tenons. La charpente est indépendante des murs.

Des différences dans le style de construction

Les Européens construisent leur maison à l’inverse des Vietnamiens : ils commencent par les fondations. Les Vietnamiens commencent par poser les fermes de la toiture sur leurs colonnes d’appui reposant sur le soubassement (nền). Le toit et la massive charpente constituent la partie essentielle de la maison. La construction de la demeure des vivants (nhà ở) et des morts (mồ mả) était un acte quasi-mystique. Celle des vivants pouvait préparer un avenir heureux ou malheureux pour les membres de la famille. Celle des morts pouvait en faire de même pour les descendants, leur donner richesse, honneur, longévité, nombreuse progéniture. La construction, loin d’être un acte simplement matériel, exige en même temps des rites spécifiques. Il faut choisir l’espace favorable (configuration du site, le terrain, surtout l’orientation), un temps propice (le jour, l’heure), des dimensions convenables. Pour tout cela, il fallait recourir à la compétence magique du géomancien (thầy địa lý) qui appliquait certains rites. Par exemple, au moment de la pose du  thượng lương (poutre faîtière), opération inaugurale, on y écrivait la date et y fixait une bande d’étoffe rouge (le rouge éloignait le Génie du feu, l’incendie) et une feuille de la plante thiên tuế (dix mille ans, le cycas) symbolisant la pérennité. Pour une maison de briques, on dressait deux pans de mur pour y fixer la poutre faîtière. Un festin était offert à cette occasion aux charpentiers qui recevaient une gratification.

Importance du choix de l’orientation


Une maison traditionnelle entourée de verdure. Photo : CTV/CVN

Pour l’orientation de la maison, un adage populaire recommande : «Lấy vợ đàn bà, làm nhà hướng nam»  (Quand on se marie, on prend une femme ; quand on construit une maison, c’est au sud qu’il faut l’orienter). En effet, le sud représente le principe mâle (yang). Sans doute pour bénéficier des vents frais apportés par la mousson d’été venant de l’océan.

Le géomancien, avec sa boussole, déterminait le site et l’orientation de la maison. Mais c’est à l’astrologue (thầy phù thủy) de protéger la nouvelle habitation contre tous les malheurs possibles : ce dernier fabriquait une maquette en papier de la future maison sur laquelle il fixait cinq roseaux munis chacun d’un mannequin en paille représentant les cinq diables destructeurs (ngũ quỷ). Le tout était brûlé après le sacrifice. Dans certaines maisons villageoises comme dans les maisons en ville, il y a des bassins d’eau d’où s’élève une montagne en miniature décorée d’arbres nains et de figurines.

Au cours du XIXe siècle, les cases en torchis à la campagne ont progressivement disparu, remplacées par des maisons en briques ou en préfabriqués. Le vietnamologue Louis Bezacier remarque : «Il existe une différence notable entre la maison du paysan et celui du citadin. Tandis que l’une comprend un ensemble de bâtiments édifiés au pourtour d’une cour, la maison urbaine est composée d’un ensemble de bâtiments se succédant en profondeur et séparés par des cours intérieures. La première salle est, suivant la profusion de l’occupant, un magasin ou le salon de réception. Les salles suivantes remplissent le rôle de chambres, cuisine, etc.». (L’art vietnamien, 1955).

N’empêche que des traits et l’esprit de la maison paysanne se retrouvent dans la maison citadine (autel des ancêtres et autels secondaires, cour garnie de pots de plantes d’agrément remplaçant le jardin, bassin d’eau de pluie, sentences parallèles, fêtes rituelles et cérémonies familiales...). Le village est envahi par la cité.

Au terme d’un long processus de modernisation de l’habitation, dès le début de la colonisation française, la maison traditionnelle villageoise et son homologue urbaine ont fini par disparaître. C’est le règne de l’acier et du béton, du cosmopolitisme et de l’anarchie architecturale. Les mœurs ont changé dans le sens de l’occidentalisation : égotisme vulgaire, consumérisme. Les voisins s’ignorent. On passe plus de temps hors de la maison, on se voit moins en famille, le repas familial a perdu son caractère sacré.

De la spiritualité de la maison traditionnelle, il ne reste pas grand-chose hormis la présence de l’autel des ancêtres dans de nombreuses maisons et chez les commerçants et hommes d’affaires, d’un pagodon en bois pour adorer le Génie de la richesse (thần tài).

Huu Ngoc/CVN

(Source media: Le Courrier du Vietnam)
 

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