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Il tombe à peu près trois mètres d'eau par an à Saïgon, soit environ trois fois plus que dans la Nièvre, référence mondiale incontestée en matière de pluviométrie. A tel point qu'on a inventé un mot pour indiquer l'état de panique qui envahit le quidam à l'instant où la flotte atteint la chaussette : gauger. Mais ici la saison des pluies ne dure que six mois, contre douze dans la Nièvre.

Chaque soir, à la première goutte, Madame Nguyen arrête son scooter sous un pont, le temps d'enfiler sa cape et de planquer son téléphone dans une pochette plastique. Puis le ciel s'ouvre et c'est le déluge. Profitant de l'agitation, même la nuit en profite pour tomber.

Quand les fortes pluies coïncident avec la marée haute, les égouts se mettent à fonctionner à l'envers et les rues sont submergées par une trentaine de centimètres d'eau (80 cm en cas de nids-de-poule). Les bouches d'égouts, réputées par ailleurs comme d'excellents coins de pêche à l'anguille, sautent et le fleuve se déverse dans les rues.

Dans les maisons, les bassines, puis les saladiers, enfin les casseroles, compensent partiellement la pénurie de couvreurs qualifiés. Dans la rue, les commerçants (c'est-à-dire tous ceux qui ont un salon donnant sur la route) entassent des sacs de sable pour empêcher le flot d'envahir leur échoppe.

Sur la quatre-voies, Madame Nguyen et ses trois millions d'homonymes pressés de rentrer mettent les gaz pour éviter que l'eau ne rentre dans leur pot, en essayant de maintenir le cap quand un camion ou un bus les dépasse à fond la caisse, soulevant des vagues de trente centimètres. Si ça foire, tant pis, elle sera bonne pour faire dix bornes à pied en poussant sa bécane, démonter et faire sécher le tout pendant la nuit, de manière à être à six heures du matin chez les Müller.

Sinon, Madame Müller devra se préparer elle-même son petit-déjeuner, ce qui la mettra inexorablement en retard pour son cours d'aquabike et elle devra annuler son prof de yoga-fitness. Au prix que ça coûte !  Alors, elle n'aura d'autre choix que de chercher une nouvelle Madame Nguyen, pour un salaire mensuel équivalent au budget-croquettes de son doberman.

Le bon côté, c'est que beaucoup de rats sont noyés, même si certains se réfugient dans les maisons. Le mauvais, c'est que les serpents savent nager. Et qu'ils suivent les rats. Les premiers seront cuits au cout-bouillon, les seconds rôtis au barbecue. Pour le doberman, faut que je me renseigne.

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