TRANCHE DE VIE:  Rencontrée dans un train qui nous menait à Hô Chi Minh (Saigon pour ceux qui vivent encore avant 1975), nous décidons avec cette routarde de faire un bout de chemin ensemble et d’aller visiter Dalat, le petit Paris situé au nord ouest de la capitale vietnamienne. Sur place, nous louons une mobylette, probablement le moyen de transport le plus simple pour visiter une ville et ses alentours : OK, le plus simple est certainement le vélo, mais Dalat, c’est à 1500m d’altitude, pas vraiment plat, et à cette époque, je consommais un peu plus d’un paquet par jour… Nous voilà donc sur notre mobylette, à jouer les « easy rider » avec cette fille qui m’était complètement inconnue deux jours avant. Nous décidons d’aller voir une cascade, enfin je crois que c’était une cascade, cette histoire ayant déjà treize ou quatorze ans, c’était peut-être un temple… Nous traversons un village, puis un autre. Les pistes défilent sous notre bolide (OK, je ne mettrais pas de photos de la bécane, sinon adieu le mythe). La poussière que nous dégageons rappellent les rallyes automobiles  qui prennent l’Afrique pour un circuit (la, encore, il est probable que le temps ait déformé ma vision). Un autre village, les enfants courent, crient « what’s your name ? How old are you? Are you married ? »: Où que vous alliez au Vietnam, avant d’essayer de vous vendre des briquets en forme de dragon ou des stylos avec un temple qui se déplace de haut en bas, les enfants vous posent ces trois questions. Au début, c’est mignon, après quelques semaines de sac à dos, c’est usant. Village suivant. Ma passagère me tape sur l’épaule : « Je ne me sens pas très bien, on peut faire une pause… ». J’arrête le bolide (hum, on y croirait presque) et alors que la béquille n’est pas encore mise, la demoiselle tombe inanimée sur le sol. 

Parenthèse : Si tu es la demoiselle du Vietnam et que tu lis ces quelques lignes, s’il te plait rappelle-moi ton prénom. Impossible de m’en souvenir, je me souviens pourtant parfaitement de toi, d’ailleurs tu es le sujet de la semaine. Je me permets cette parenthèse, d’abord parce que c’est mon blog et que je fais ce que je veux et aussi pour rassurer les âmes sensibles qui se demandent si Christelle (on va l’appeler Christelle, Nathalie ou Sandrine) va mourir: non. 

Je m’approche donc de Nathalie, lui tapote la joue : rien. Comme je regarde pas mal de séries télé (Y avait pas encore Docteur House, mais Urgence existait déjà), je lui prends le pouls : elle vit. Me voilà donc au milieu de nulle part avec une parfaite inconnue qui est dans le coltard (je me souviens quand même que sa mère était pharmacienne, je n’avais jamais vu une routarde avec une trousse d’urgence aussi grosse). Pour une fois où j’aimerais que les mômes viennent me vendre des stylos, il n’y a personne. Ce village semble désert, je pense qu’il sera difficile de trouver un toubib. La situation ressemble à un far-west, plutôt un far-east dans le cas présent: il ne manque qu’une musique d’Ennio Morricone, un son d’harmonica ou un sabre à la kill bill pour planter l’ambiance… Je continue à parler à Christelle, j’essaye de la réveiller. Sa trousse de secours est restée à l’hôtel. Je prends un peu d’eau, lui verse sur le front (j’aurais pu faire le coup « la gourde est vide », mais relatant les faits et seulement les faits, on avait de l’eau). Rien ne se passe. Mais pourquoi ai-je accepté de faire un bout de chemin avec cette gonzesse ? J’étais tellement bien tout seul. Je presse délicatement ses mains, toujours rien. Le bouche à bouche ? Pourquoi pas, mais comment expliquer mes lèvres contre les siennes à Sandrine si ça la ranime ? J’insiste avec plus d’eau sur son visage. Peut-être a-t-elle eu un coup de chaud. Toujours rien, les minutes me semblent longues. Je décide d’aller chercher de l’aide vers une maison. Une vietnamienne est finalement plus rapide que moi et se dirige vers nous. Impossible de dire son âge (ni son nom, ni si elle est mariée), mais j’explique tant bien que mal le problème de ma coéquipière  (explications très faciles, la situation parle d’elle-même). La vietnamienne me fais signe de porter Nathalie jusque dans sa maison. Je m’exécute comme je peux, le body building, ça n’a jamais été mon truc ; Mais paradoxalement, en situation d’urgence, on se découvre des ressources inespérées. Ma sauveuse me demande de poser Christelle sur un transat lui prends le pouls (comme quoi Doc House, ça te sauve une vie), lui soulève les paupières, observe ses pupilles, me fais un grand sourire et me dis de ne pas m’inquiéter (je dois vous avouer -1- qu’en cinq minutes, je suis devenu « fluent » en vietnamien, -2- que je flippais grave pour l’inconnue). Cette femme sort dans son jardin et roule des herbes en une espèce de gros cigare. Elle l’allume. Une épaisse fumée se dégage dans la maison et une odeur de plantes aromatiques mélangées à de la marijuana se répand dans la pièce. Le docteur (à ce moment, j’ai décidé qu’elle était docteur) approche le cigare du coude de Nathalie, puis du poignet, passe à l’autre coude et finit par le second poignet. A ce moment précis, Christelle ouvre les yeux et me demande où on se trouve…

Christelle, Nathalie et Sandrine sont sauvées. Et moi, toutes mes croyances ou plutôt mes non-croyances tombent à l’eau. Comment être cartésien dans une telle situation ? Comment se rattacher à la médecine dite « classique » quand vous êtes le témoin d’une telle scène. J’ai dû me rendre à l’évidence, une médecine douce, celle qu’on ne peut pas forcément expliquer, peut être utile. Je ne pense toujours pas aujourd’hui que cette forme de médecine puisse remplacer notre forme occidentale, mais je suis beaucoup plus ouvert à toute pratique qui peut aider ou alléger les souffrances. Ainsi, je regarde d’un œil intéressé les bruleurs de feu qui aident potentiellement les patients lors de séance de radiothérapie (excellent article dans le magasine « clés » d’il y a 2 mois). Les acuponcteurs ou l’homéopathie m’interpellent même si je n’arrive pas à expliquer leur fonctionnement.

Après le réveil de MA routarde (comment ai-je pu douter du bien fondé de cette rencontre ?), nous avons voulu payer cette femme qui a catégoriquement refusé. Elle nous a offert un thé, on a essayé de communiquer, mais ce fut très difficile car le cigare, en plus d’avoir enlevé le mal, m’a fait perdre toutes les notions de vietnamien que j’avais acquis dans un temps record.

 

Mai 2011
Cyril

Commentaires

vous devriez être écrivain

'ai lu ce petit récit et je m'y voyais. A votre place j'écrirai des bouquins car vous avez beaucoup d'humour et cela fait oublier les problèmes du moment
BON VENT
GOUPER

Ma devise : advienne que pourra

Le livre c'est pour quand ?

Bravo, j'espère que Christèle va se manifester !

J'ai eu un histoire semblable, niveau herbe... il y a deux ans avec mon fils de moins d'un an.
Quelques jours après notre arrivée, voila bébé qui prend les fesses rouge et tout les produits apportés de France, bien utilie ici, sont ineficace. Direction l'hopital ou la pédiatre passe une heure à approvoiser bébé qui se met enfin a sourire (il ne l'a jamais fait au pédiatre français). Elle l'osculte et préconise une analyse des selles (s'était pile l'époque de la vague de e-coli). Elle nous donne le nom d'une pomade et de ne pas utiliser les couches françaises mais d'en acheter ici car elle sont plus légères. après une semaine de traitement, aucune amélioration.
Puis, on se souvient que tatan etait "pharmacienne". On va la voir, elle osculte bébé et nous dit de rentrer et qu'elle viendra avec ce qu'il faut. Quelques heures se passent et elle revient avec de l'herbe qu'elle a été chercher à la campagne (il n'y a pas cette herbe en centre ville d'HCM). Elle fait une décoction et badigeonne les fesses de bébé. Le lendemain même traitement et déjà on voit une amélioration spectaculaire. Le 4ème jour, plus rien.
Alors oui, les herbes j'y crois mais encore faut-il savoir lesquels et coment les utiliser.

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