Tranche de Vie:  Hommes, femmes, enfants, tous ont à cœur de se maintenir en forme, en profitant de toute occasion pour entretenir muscles et souplesse. Véritable phénomène de société, l'activité physique des Vietnamiens n'est pas étrangère à la grâce et l'aisance dont ils font preuve jusqu'à un âge avancé !

Il est 05h00 du matin ! Rives du lac de l'Ouest ! Marche rapide pendant 100 m, puis course au petit trot les 100 m suivants, puis marche rapide, puis course, et ainsi de suite jusqu'à la fin du tour du lac ou jusqu'à l'épuisement complet du coureur-marcheur ! Mais quel forfait monstrueux ai-je commis pour me retrouver dehors à une heure pareille, ahanant et soufflant dans la fraîcheur du jour naissant ? Quand je pense que la cause de cette punition est un concours de circonstances : la rencontre de l'amour conjugal et de l'amour immodéré des Vietnamiens pour l'activité physique !

Sport pour tous…

En effet, depuis quelques jours, je voyais bien que ma douce épouse me regardait d'un air dubitatif, lorsque je m'astreignais à mes exercices matinaux de rameur sur terrasse. Je sentais bien que des pensées peu amènes se faisaient jour dans son esprit. Et au bout d'une semaine, le verdict désapprobateur est tombé. D'un doigt vindicatif, elle a désigné la concavité charnue qui a tendance à remplacer la convexité musculaire de mon abdomen, en disant : "Ça doit disparaître !". D'un seul coup, je me suis senti… vidé. J'avais les sentiments de me retrouver comme un article en solde, vous savez de ceux à qui on accole cette pancarte : "Prix cassés ! Tout doit disparaître !". Cassé, je l'étais assurément ! Malgré mes efforts quotidiens à suer sur une machine infernale, sous le regard amusé de ma fille, mon tour de taille restait… de taille, et ne trouvait pas grâce aux yeux de celle pour qui je me dois de rester en pleine forme le plus longtemps possible. D'ailleurs, j'essayais encore de défendre désespérément ma cause, en expliquant que peut-être je pourrais augmenter la cadence, régler cette satanée machine avec une force de résistance plus grande, et je ne sais quoi encore. J'ai eu pour seule réponse, un regard de commisération pour cette vaine tentative de sauver la face. J'étais déjà condamné et la peine m'a été assénée : "Cette machine ne sert à rien, tu dois faire comme les autres. Le matin, maintenant on va aller courir et faire des exercices physiques. C'est mieux !". Et là, j'ai su que je ne pouvais plus lutter ! Car je me trouvais face à une culture millénaire et à une pratique immémoriale de plus de 80 millions de Vietnamiens !

En effet, si l'expression "culture physique" a vraiment un sens, c'est bien ici, au Vietnam. Ce n'est même plus de culture physique dont on devrait parler mais de culte de la sculpture physique ! Matin et soir, profitant des heures fraîches, des milliers d'enfants, femmes et hommes, de tout âge, toute religion, toute profession, courent, sautent, pratiquent toutes sortes d'activités sportives. Ici, le sport, même individuel, n'est pas solitaire ; il se pratique en communauté. Il n'est que de voir au bord des lacs et plans d'eau, le long des avenues, sur la moindre place ou esplanade, ces groupes de femmes qui s'exercent à la gym tonic sur des rythmes technos endiablés ; ou encore dans les parcs et jardins, ces dignes sexagénaires jouant au badminton avec une énergie à faire honte à un sportif dopé au dernier degré !

À propos de honte, il est vrai que le spectacle de la rue, à certaines heures, à de quoi humilier profondément toute personne dont la masse musculaire a disparu sous une masse adipeuse ! Je me souviens d'une scène dans le jardin botanique de Hanoi. Il était 08h00 du soir, en fin octobre, et je me promenais avec des amis de France. Lui et elle, la quarantaine épanouie, encore sveltes grâce à une hygiène diététique et une pratique assidue de la marche et du vélo. Alors que nous devisions sous les ombrages des arbres séculaires, notre attention a été captée par un tableau surprenant : sur un banc, allongée sur le dos et buste en dehors du banc, une femme enchaînait des séries d'exercices abdominaux, en redressant le buste à la verticale à une vitesse stupéfiante. Si cette femme avait eu 20 ans, nous aurions apprécié sa performance à sa juste valeur. Mais, en l'occurrence, cette gymnaste arborait une magnifique chevelure blanche qui, confirmée par les rides qui ornaient son visage, la situait plutôt près de 70 ans que de l'adolescence ! Et, bien sûr, mes amis ont été stupéfaits par l'exploit ! Mais ce qui les a complètement anéantis, c'est qu'au cours de la promenade qui a durée une heure, nous avons assisté à des dizaines de scènes du genre : des personnes ayant atteint un âge synonyme d'affaiblissement programmé qui accomplissent des prouesses physiques dignes de jeunes adultes dans la force de l'âge ! Se demandant à quel élixir de jouvence avaient pu s'abreuver toutes ces personnes, mes amis n'étaient pas au bout de leurs surprises !

Tous au sport…

Ils ne savaient pas encore que l'activité physique et sportive est omniprésente au Vietnam. Comment l'ignorer, quand le matin, le corps encore avachi par la langueur de la nuit, ils allumaient leur télévision pour capter les premières informations de la journée. Dès 05h00, les écrans sont envahis de groupes d'enfants, d'adolescents, d'adultes, de personnes âgées qui, sourires aux lèvres, présentent des démonstrations éblouissantes de gymnastique, de musculation, de tai chi et autres exercices physiques destinés à promouvoir un corps harmonieux ! Comment l'ignorer, quand dès l'aube, les avenues, les berges des lacs, les jardins publics sont envahis de coureurs et de marcheurs rapides, déroulant des kilomètres d'asphalte ou de terre sous leurs foulées énergiques ! Comment l'ignorer, quand on revoit les mêmes à la douceur du soir, après une journée de travail, se consacrant aux mêmes activités ! Comment l'ignorer quand on voit dans les cours de temples ou de pagodes, des enfants s'exercer sous l'œil attentif de maîtres au Viêt Vo Ðao (l'art martial vietnamien). Comment l'ignorer, quand on voit fleurir les clubs de remise en forme (entre nous, on devrait plutôt parler ici de club de maintien d'une forme qui n'a pas besoin d'être retrouvée, puisqu'elle n'est jamais perdue !). Comment l'ignorer quand on voit sur chaque terrasse, chaque balcon, des instruments de musculation qui trônent au milieu des bonsaïs. Comment l'ignorer quand, jusque dans les films vietnamiens, lorsqu'il y a une scène de réveil, la première occupation de l'acteur est de faire des exercices d'assouplissement et des pompes pieds aux murs et mains au sol !

Et surtout n'allons pas imaginer que cette pratique est réservée aux urbains sédentaires, qui éprouveraient un besoin irrépressible de compenser le manque d'activités physiques par cette orgie sportive ! Même à la campagne, où le travail quotidien porte son lot de travaux pénibles, il n'est pas rare de voir, le soir venu, une quinzaines de villageois, jeunes et vieux, jouer ensemble à des parties effrénées de volley-ball. Et quand il fait chaud et que l'on voit les torses nus, même chenus, luisants d'une fine sueur, tablettes abdominales saillantes, pectoraux apparents, et épaules droites, on ne peut s'empêcher de mesurer les efforts que nombre de personnes, amateurs de bonne chère et de sport à la télévision, ont à faire pour perdre ce qu'en Occident on nomme pudiquement leur surcharge pondérale. Voilà pourquoi, mes amis, aussi sportifs soient-ils, se sont sentis subitement très fatigués en côtoyant pendant quelques jours cette incroyable activité physique qui fait partie de la vie du Vietnamien.

Voilà aussi pourquoi, à 05h00 du matin, je suis en train de souffrir comme un damné, crachant mes poumons, en compagnie de ma femme qui semble flotter au-dessus du sol, tellement ses foulées sont régulières et légères. Et comme il m'est impératif de sauver la face, je dois répondre par un sourire poli et d'une voix détendue aux centaines de personnes qui me croisent en me saluant d'un vigoureux "Chào ông", même pas essoufflé !

Quand je pense que ce soir, on va remettre ça ! Pourquoi ai-je choisi un des seuls pays du monde où chacun aurait pu servir de modèle aux statues grecques d'Apollon ou de Vénus ?

Rien qu'à écrire cet article, je suis fatigué !

Gérard BONNAFONT/CVN

 

Commentaires

Courir

Comme quoi, ça prouve qu'on court tous après quelque chose.

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