Six heures du matin à Saigon, dans le sud du Viêtnam. Une armée de mobylettes envahit la ville, dans un concert de klaxons. Vendeurs de fruits, de légumes, de canards laqués se sont déjà installés sur les trottoirs. Sur de petits poêles, on fait bouillir la soupe, cuire les tranches de boeuf et les nouilles, que les Saigonais, accroupis sur leurs jambes, avalent à grands coups de baguettes. Comme on partage à plusieurs l'espace de la maison, on occupe le trottoir pour cuisiner, manger, exercer son petit boulot et roupiller dans le hamac.

Huit millions d'habitants vivent ici. Ils y travaillent, brassent des affaires, pédalent et y occupent le moindre pouce carré. Ça bouge 24 heures sur 24 à Saigon. Les rues poussiéreuses sont envahies de mobylettes, de vélos, de camions, quelquefois de voitures luxueuses, de cortèges nuptiaux, de piétons transportant des char­ges qui se balancent en équilibre de chaque côté du corps...

À bord de leur engin, les jeunes femmes à talons hauts, vêtues de l'ao dai, le costume de soie traditionnel, ont le visage recouvert d'un masque qui les protège de la pollution et du soleil. On roule à deux ou trois, ou quatre sur la mobylette, le bébé au milieu. Et on y transporte de tout : des sacs de riz, des miroirs, des arbres, des commodes, des madriers, des chaudrons remplis de nourriture, des sacs de plastique contenant des poissons rouges... Et on circule à cinq, six ou sept de front.

Il n'y a pas de policiers et les feux de circulation sont rares. Mais diable! Y aurait-il un chef d'orchestre dans la ville pour diriger ce ballet cacophonique? D'où viennent-ils? Où vont-ils? Pourtant... tout le monde est concentré, patient, à ses oignons, comme lié par une règle secrète.

Connaissant l'impatience du Québécois au volant, je ne l'imagine pas une seconde dans les rues de Saigon. Et il devra s'y prendre de bonne heure s'il veut traverser la rue à pied. À Hanoi, deuxième ville du Viêtnam, au nord, où s'entassent six millions d'habitants sous un inextricable enchevêtrement de fils électriques qui courent au-dessus de la ville, on klaxonne encore plus fort et on conduit de façon plus anarchique.

Heureusement, le pays de la mobylette (10 millions dans tout le pays) est aussi le pays du sourire. Jamais vous ne verrez un Vietnamien s'impatienter, se mettre en colère, perdre les pédales (blague à part). Il sourit. Les émotions sont refoulées dans le jardin intérieur et il est bien difficile de savoir ce que ressent vraiment un Vietnamien. Même si vous évoquez les atrocités de la guerre, vous ne sentirez aucune animosité.

Et dans ce pays, on travaille... Sur les routes de campagne, on voit les femmes coiffées du traditionnel chapeau conique, courbées dans les rizières. On croise les éleveurs de cochons, de poulets, de canards... Dans les échoppes au bord du chemin, les familles s'adonnent à de petits métiers : on fait le tressage de tapis, on fabrique de l'encens, on fait cuire les galettes de riz que l'on fait sécher au soleil, on confectionne le chapeau conique, on tisse la soie, on taille les vêtements, on fabrique les poteries, on fait mariner la saumure de poisson... Et presque toujours à la main...

un pays tiraillé

En voyageant à travers le Viêtnam, on sent que le pays est tiraillé entre la tradition et la modernité et qu'il n'en est pas à une contradiction près. Les grandes entreprises internationales sont présentes dans les villes de Hanoi et de Saigon et McDonald's y vend son Big Mac.

Au nord, on vit de façon plus traditionnelle qu'au sud  : dans les hautes montagnes vivent les ethnies traditionnelles qui fascinent les touristes et les photographes : elles habitent des maisons sur pilotis et on dit que leur garde-robe est plus imposante que le mobilier de la maison. Le pays compte 54 ethnies (une ethnie d'environ 100 personnes a été découverte récemment), qui représentent 15 % de la population totale du Viêtnam. Sur la rivière des Parfums, à Hué, la cité impériale, des gens sans adresse habitent sur des barques flottantes alors que dans la banlieue de Hanoi, on voit pousser des complexes d'habitation ultra-chic où vivent les nouveaux riches.

Il n'en demeure pas moins que le pays est pauvre et qu'on cohabite à trois ou quatre générations sous le même toit. Mais personne n'y crève de faim. Le Viêtnam produit beaucoup de riz, de poivre, de café, de produits de la mer et des tonnes de nourriture. On en voit partout : sur les trottoirs, dans les marchés, dans des barques...

Un voyage au Viêtnam ne serait pas complet sans la visite de ses marchés, qui font étalage de produits tous plus bizarres et intrigants les uns que les autres. «Ici, tout ce qui bouge se mange», nous dit Nhu Bon, notre charmant guide.

Et on mange bien. Avec légèreté et élégance. Tous les plats arrivent sur la table en même temps : légumes, petits rouleaux impériaux, poissons et fruits de mer en abondance, porc, poulet et canard, assaisonnés de coriandre et de citronnelle et, bien sûr, le riz, qui est l'aliment de base, ainsi que la fameuse soupe Pho, un bouillon avec viande et nouilles que les Vietnamiens mangent à toute heure du jour. Rien de gras, jamais de dessert ni de pain sur la table. Bon pour la taille!

Si tout se mange, dans les restaurants réservés aux touristes, on demeure dans la convention. Mais dans des restaurants typiquement vietnamiens, vous trouverez plus exotique : cobra, porc-épic, rat, chauve-souris, chat, chien, queue de cochon frite qu'on avale avec de la bière. Un peu d'urine d'éléphant avec ça?

À chacun sa religion

La longue histoire du Viêtnam accompagne le visiteur tout au long de son périple : même si la guerre a détruit nombre de trésors nationaux, le pays porte encore plusieurs témoignages du passé : traces de lutte millénaire contre l'envahisseur chinois, vestiges de brillantes civilisations, présence de la France colonisatrice, montée du communisme et engagement américain dans une guerre, qui a dévasté le pays et sa population.

Pour apprécier son voyage au Viêtnam, il est important de se faire accompagner d'un guide qui connaît bien l'histoire du pays. Car ce pays est complexe pour un Occidental. Même un Vietnamien a du mal à s'y retrouver : «La culture, l'économie, la politique, la religion, c'est comme la circulation, nous dit en souriant notre charmant guide, Nhu Bon : c'est anarchique!»

Toutes les religions et les croyances se sont infiltrées dans l'histoire du Viêtnam : bouddhisme, confucianisme, taoïsme et bien d'autres encore... Cette ferveur religieuse a laissé dans le paysage une multitude de temples et de pagodes coiffés de toitures retroussées vers le ciel, et affublés de noms poétiques : pagode au palier unique, palais de la paix suprême, pagode de la danse céleste... Tous plus astiqués et plus dorés les uns que les autres, ces temples ont été érigés à Bouddha, Confucius, à la mémoire d'un héros, d'un empereur, d'un génie, du fondateur d'un village, d'un bienfaiteur... Ils sont toujours remplis de fidèles qui viennent y déposer des prières, y faire brûler des tourbillons d'encens, y placer des fruits, des pièces de monnaie et des cannettes de Pepsi au pied du gros Bouddha. 

Superstitieux, les Vietnamiens? Par leur façon de vivre, ils vous diront que le ciel et la terre sont régis par un ensemble de lois. Et cela semble faire leur bonheur d'y croire. Chaque village a son divinateur, que les habitants consultent pour connaître la bonne date d'un mariage, pour l'achat d'un terrain, la transaction d'une affaire... On pratique le culte des ancêtres, une croyance voulant que les ancêtres continuent à vivre parmi leurs descendants en leur apportant la protection, à la condition que ces derniers les honorent et entretiennent leur tombe. Chaque famille a dans la maison un autel de culte, pour le génie de la prospérité, le génie de la cuisine, le génie du terrain, etc. L'orientation des maisons est déterminée par les génies du sol, des fleuves et des montagnes. On vénère le dragon, qui symbolise la vertu et la droiture et la tortue qui est signe de longévité.

Et ils sont curieux. Ceux qui parlent anglais s'intéressent à vous, posent beaucoup de questions : D'où venez-vous? Combien d'habitants dans votre pays? Que faites-vous là-bas? Avez-vous des enfants? Et ceux qui ne parlent pas l'anglais vous examinent comme si vous débarquiez d'une autre planète. Ce qui est juste. Vous ai-je dit que j'ai aimé le peuple vietnamien?

 

Sylvie Ruel, collaboration spéciale
Le Soleil   cyberpresse.ca

 

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