Le mariage, qu'il soit au Vietnam ou ailleurs dans le monde, est certainement une des institutions sociales les plus anciennes. Qu'il soit par intérêt ou par amour, c'est l'occasion d'agapes et de réjouissances auxquelles sont conviés familles et amis. Pour autant, chaque pays possède ses propres traditions qui peuvent parfois étonner le néophyte qui y participe…

C'était il y a un mois, mon indéfectible ami Tuân m'annonce le mariage de son dernier frère et y joint une invitation en bonne et due forme. Ça me change de l'habitude ! Depuis mon arrivée au Vietnam, hormis mon mariage, j'ai plutôt été invité à des funérailles qu'à des épousailles ! Pourvu que je ne me trompe pas en présentant des condoléances plutôt que mes félicitations ! Même si certains esprits chagrins pourraient supposer qu'un mariage est aussi un enterrement de vie de célibataire ! Ceci dit, il est vrai que le mariage vietnamien diffère quelque peu du mariage français…!

Mariés de rêve !

En réalité, c'est au banquet de mariage que je suis invité. Festivités qui représentent bien plus qu'un simple festin, mais qui n'est pas la cérémonie de mariage en tant que telle. Celle-ci a eu lieu souvent la veille, dans la plus grande intimité familiale, en conclusion d'une série de rites qui s'étalent sur plusieurs mois, de la présentation aux familles jusqu'à la cérémonie civile et religieuse.

D'ailleurs, avant de vous inviter à faire ripaille, un peu d'histoire ! Il n'y a pas si longtemps encore (et pas seulement au Vietnam !), les parents avaient pleins pouvoirs dans toutes les questions concernant la vie de famille. C'étaient eux qui décidaient du choix des partenaires pour leurs enfants. En général, les parents souhaitaient (et souhaitent toujours) trouver une bonne famille, d'un même niveau de vie que le leur (ou meilleur), dont le fils ou la fille, bien éduqué(e), ferait un parfait compagnon de vie pour leur progéniture. Il arrivait souvent que les mariés ne se connaissaient pas avant le mariage. Ce qui a profité à un métier extrêmement lucratif : l'entremetteuse, chargée de trouver la femme parfaite ou le mari parfait, moyennant un pourcentage sur les dots ! Une fois l'accord scellé entre la famille et l'entremetteuse, celle-ci se mettait en quête du futur conjoint ou de la future conjointe qui devait répondre à des critères précis...

En ce qui concernait la jeune fille, il s'agissait des quatre vertus : Công, Dung, Ngôn, Hanh.

Công - les travaux ménagers : Dans une société confucianiste, les jeunes filles sont susceptibles d'assumer toutes les tâches domestiques, y compris la couture, la broderie, le tissage, le tricot, l'élevage des animaux (volaille, bétail)... avec une rapidité et une efficacité sans failles. Les sages disaient : "On devient riche avec l'aide de ses amis et honorable grâce à sa femme". C'est pourquoi, une femme était considérée comme une générale de l'intérieur.

Dung - la beauté : Malgré le dicton "La vertu a raison sur la beauté", personne ne veut avoir une femme difforme ou ayant une apparence désagréable. Les parents souhaitaient trouver une bru de bonne santé pour assurer la continuation de leur lignée.

Ngôn - la parole : La femme de l'ancienne société n'avait aucune voix au chapitre. En plus, elle devait obéir à son mari comme à ses parents, choisir les bons mots et être polie envers tout le monde.

Hanh - la bonne conduite : En dehors de sa propre famille, la bonne épouse était obligée de s'occuper des vieux parents et d'être en bons termes avec tous les membres de sa belle famille.

Le jeune homme avait plus de chance que la jeune fille ; on était moins exigeant, ne lui demandant que du courage, une bonne conduite et l'intel- ligence si possible (et encore, ce dernier critère était-il sans importance dans le cas des paysans et des gens de famille modeste !).

Je supplie les féministes de ne pas me lyncher sur la place publique, mais je me demande si, avec la disparition des entremetteuses, les critères de choix des uns et des autres ont véritablement changé ?!

Marche nuptiale !

En tout cas, ce n'est pas à un mariage arrangé auquel j'assiste aujourd'hui, mais à un vrai mariage d'amour. Du moins suis-je enclin à le penser à voir les regards énamourés que s'échangent les deux ex-célibataires au moment d'affronter l'épreuve fatidique du tapis rouge ! Mais, histoire d'entretenir le suspense, commençons par le début.

Il est 11h00 du matin, ce samedi pluvieux d'automne. J'ai pour l'occasion enfilé costume et noué cravate. Diable ! Déjà qu'au Vietnam, on ne plaisante pas avec l'élégance au quotidien, en ce jour faste, il est hors de question de paraître négligé ! D'autant plus que je représente non seulement ma famille, mais aussi la France et le monde occidental dans son ensemble. En effet, je suis le seul Tây (Occidental) invité ! La charge est honorable mais lourde. Pas d'impairs surtout !

Le mariage a lieu dans un salon du Palais de la Culture et de l'Amitié, non loin de la gare de Hanoi. Ici, ce sont plusieurs mariages qui se déroulent simultanément, attention à ne pas se tromper ! Ça y est, j'ai repéré l'arche rouge et or à l'entrée d'un salon sur laquelle figure le nom du frère de Tuân. En m'approchant, j'ai confirmation de mon bon choix en voyant Hiên, l'épouse de Tuân, debout à côté d'une urne rouge en forme de cœur. De chaque côté de l'entrée, une pour chaque famille, ces urnes invitent expressément chaque invité à glisser une enveloppe rouge qui contient le présent, sous forme de billets de banque, fait aux mariés ! Évidemment, l'occasion est trop belle pour moi ! Je ne peux m'empêcher, en introduisant mon enveloppe dans l'urne, de dire à haute voix : "Bo phiêu rôi !" (A voté !). Regard amusé de Hiên, courroucé de mon épouse (se faire remarquer n'est pas du tout poli !), étonné des autres invités qui s'interrogent à voix basse sur ce que j'ai voulu dire !

Allons, il va me falloir entrer dans le rang, sous peine de devenir l'attraction d'un mariage qui n'est pas le mien ! Heureusement, on m'oublie vite pour applaudir les parents des mariés qui remontent en couple le tapis rouge qui les conduit à une estrade éclatante de lumières, de chaque côté de laquelle sont disposés d'immenses écrans sur lesquels défilent des photos des mariés. C'est une tradition ici de faire les photos avant le mariage, en prenant des positions romantiques à souhait, et de les projeter en diaporama continu pendant la fête de mariage. Ce qui laisse, disent les méchantes langues, le temps de les retoucher (les photos, pas les mariés !)...

Maintenant, c'est au tour des mariés. Imaginez l'épreuve ! De chaque côté du tapis, près de 500 personnes, la famille de la mariée à droite, celle du marié à gauche, applaudissant au passage du jeune couple qui, les yeux fixés sur l'estrade où les attendent les parents, est l'objet de tous les regards. En ce qui me concerne, je ne sais pas si la mariée a le Công, le Ngôn et le Hanh, mais elle a certainement le Dung ! Remarque qui me vaut un coup de coude conjugal pour me rappeler à l'ordre : humilité et politesse ! Je garde donc devers moi d'autres commentaires tout aussi flatteurs et applaudit à tout rompre, tandis que les mariés échangent les alliances sous les regards attentifs des parents et ceux attendris de l'assistance. Quelques pétards pour faire jaillir des milliers d'étoiles argentées dans les airs, et les mariés… sont mariés !

Tables tournantes ! Il est temps de se mettre à table. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais depuis le début de ce récit, j'ai souligné plusieurs fois la séparation physique des deux familles. Contrairement à l'Occident où se mêlent joyeusement les invités et les familles, quitte à ce que certains mariages se terminent en pugilat, ici, chaque famille reste sur son territoire. À tel point que je n'aurais pas eu l'occasion de rencontrer ou de converser avec un seul membre de la famille de la mariée. C'est seulement le lendemain que j'apprendrais que j'ai autant été l'objet des conversations que les mariés ce jour-là ! Ma modestie dût-elle en souffrir !

Il faut dire que, alors que les mariés circulent de table en table pour recevoir de chaque invité les félicitations qui leur sont dues, mon repas se transforme vite en tournée électorale. Là, c'est le grand-père de Tuân, trônant en patriarche à la table des anciens, qui veut absolument me présenter à des vétérans de Ðiên Biên Phu ! Plus loin, c'est la grand-mère, à la table des anciennes, qui tient à ce que les vénérables Bà me voient de plus près ! De table en table, je serre des mains, salue des ông, des bà, des cô, des dì, des chú, des bác, des anh, des chi, des em, des cháu !

À une table, j'ai la surprise de croiser mon épouse, étroitement entou- rée par Hiên et une lointaine cousine. Horreur, je n'aperçois pas de siège vide pour moi ! Je mange où ? Tuân continue à me pousser d'invité en invité, et progressivement je refais le retard que j'avais sur les mariés. Mais à chaque fois que je veux franchir le tapis rouge qui me sépare de l'autre famille, une main amicale mais ferme me renvoie dans mon camp ! Les plats sur les tables sont presque vides quand, enfin, je peux m'asseoir à la place qui m'est réservée, du moins à la seule encore disponible ! De loin, ma femme me fait un petit signe de la main. Allons, la voilà rassurée : ma compagne de table a huit ans, et va s'évertuer pendant tout le repas à me prouver qu'elle parle bien anglais ! À moi, farouche francophone, qui ne supporte d'entendre que le vietnamien ou le français ! Comble de malchance, à ma gauche, un Vietnamien, commerçant de vins français, me presse de questions sur les qualités respectives des bourgognes et des bordeaux ! À moi qui n'ai jamais bu une goutte de vin de ma vie !

Soudainement, mon téléphone sonne. Poliment, je quitte la salle pour répondre ! Ma communication dure dix minutes. Quand je reviens dans la salle, mon épouse m'attend pour me dire qu'il est temps de rentrer.

De toute façon, on dit que quand on aime, on n'a pas faim ! Vive les mariés !

Gérard BONNAFONT/CVN

Voir aussi:

la rubrique Couples mixtes / Mariage et le dossier Formalités Mariage mixte au Vietnam

Notre dossier MARIAGE VIETNAMIEN

 

Commentaires

toujours un régal de vous lire

Vous devriez rassembler tous vos récits pour les éditer , je serrais de sur, un des premiers acquéreurs .
Dans le sud du moins dans mon village , le mariage commence vers 7 h 30 du matin pour la famille , avec plusieurs services dans la journée . Si j'avais votre art de la plume, je suis sur d'avoir matière a vous faire bien rire . Ayant une grande famille du cote de ma femme , j'ai du etre l'invite d'honneur de nombreux mariage étant aussi le seul Tail . Je ne vous parle meme pas des anniversaires de mort . Le record 3 dans la meme semaine .
Mon mariage , j'ai du le faire en habit traditionnel , Bien sur j'étais le seul tail , mais aussi le seul accoutré de la sorte . Si je veux faire tordre de rire mes visiteurs , je n'ai qu'a sortir l'album de mariage ... J'en prend plein la tête .
encore bravo , et j'attends avec impatience votre prochain récit

Ma riez !

Merci pour votre appréciation ! L'idée de compiler les 152 tranches de vie déjà écrite pour le Courrier du Vietnam m'effleure quelquefois...Peut-être un jour, à condition qu'un éditeur suppose que ceci puisse intéresser suffisamment de lecteurs, ce dont je doute moi-même !
Entre le mariage des villes et le mariage des champs, il existe de nombreuses différences : le premier étant moins traditionnel que le second ! Il existe aussi des différences entre le mariage catholique, proche de ce que nous connaissons en occident, et le mariage bouddhiste, celui des minorités ethniques ou celui typiquement vietnamien . Autant de sujets de tranches de vie... !

Joyeuse vie à vous dans le Sud !
Cordialement
GB

Vive les mariés ! bientôt...

Bonjour Monsieur BONNAFONT,
J'ai adoré votre récit plein d'anecdotes et je vous en remercie.
Et bientôt, en Janvier, ce sera notre tour à ma future épouse My Trang et moi, de nous marier au Vietnam, à Dak Lak précisément.
Pour l'instant ma future Femme ne m'a pas dévoilé tous les détails de la cérémonie et je vous avoue en avoir une petite idée après avoir lu, que dis-je, après en avoir savouré tous les détails de votre récit.
Merci encore pour tout le plaisir que vous nous donner en lisant vos articles plein de bon sens, d'humour et de sincérité.
TimVN (Christian)

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